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Feature: "Grandpa diplomacy"


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“On est plus tolérant en vieillissant. Quand on est jeune, on découpe le monde entre ceux qui ont tort et ceux qui ont raison, et on est plus impatient.” Desmond Tutu Dans une longue enquête consacrée aux Elders publiée par M, le magazine du Monde, Guillemette Faure analyse le rôle joué par les anciens chefs d’Etat et de gouvernement sur la scène internationale.

Le Monde illustration of Jimmy Carter, Kofi Annan and Nelson Mandela

Illustration : Chris Piascik

Quel est le point commun entre Kofi Annan et son successeur à la tête de la mission de médiation de l'ONU en Syrie, l'Algérien Lakhdar Brahimi ? Tous deux sont membres de The Elders, une ONG qui, depuis 2007, rassemble autour de Nelson Mandela d'anciens hommes d'Etat, Prix Nobel de la paix et autres sommités internationales. Une sorte de conseil des anciens du village planétaire qui entend oeuvrer à la paix dans le monde. Avec plus ou moins de succès...

"On est un groupe de has been politiques", blague Jimmy Carter, 87 ans, à Londres, devant les membres d'une association qui s'occupe de réinsertion professionnelle de jeunes. Il ne parle pas des anciens présidents des Etats-Unis – ceux qui sont devant lui n'étaient d'ailleurs pas nés quand il occupait la Maison Blanche – mais des "ex" avec lesquels il forme The Elders, une ONG rassemblant d'anciens hommes d'Etat, "des gens qui ont eu des postes importants". Derrière l'organisation, sir Richard Branson, le milliardaire britannique fondateur de Virgin ("Désolé de ne pas pouvoir vous serrer la main, je viens de faire quatre heures de kitesurf pour traverser la Manche"). L'idée lui est venue lors d'une conversation dans l'avion avec le musicien Peter Gabriel après un concert de soutien à Mandela. L'un d'eux a fait remarquer que beaucoup de communautés confiaient à leurs aînés le soin de régler leurs disputes, l'autre s'est demandé si un village mondial ne pouvait pas aussi avoir ses anciens.

"Buena Vista Social Club de la diplomatie"

"Il fallait convaincre Mandela d'en faire partie. Puisque l'idée était de rassembler des gens ayant une autorité morale, il était notre cible numéro un", se souvient Peter Gabriel, à l'occasion du cinquième anniversaire des Elders. Parmi eux, Mandela donc, mais aussi des "anciens" de tous âges – Carter est le doyen des Elders, Mary Robinson, 68 ans, ex-présidente irlandaise et commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, est la plus jeune –, de tous les continents – de l'ex-président brésilien Fernando Henrique Cardoso à la pionnière indienne du microcrédit Ela Bhatt –, une demi-douzaine de Prix Nobel de la paix – outre Nelson Mandela (en 1993), le président de la commission Vérité et Réconciliation d'Afrique du Sud après l'Apartheid Mgr Desmond Tutu (en 1984), l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan (en 2001), Jimmy Carter (en 2002), ou l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari (en 2008), médiateur respecté même s'il est moins connu du public. Muhammad Yunus, encore un Nobel, fondateur de la Grameen Bank de microcrédit, s'est retiré parce qu'il n'avait pas le temps et la Birmane Aung San Suu Kyi n'est plus membre honoraire depuis qu'elle est élue au Parlement. "L'idée était d'en avoir douze, on en a dix", constate Branson.

Les Elders réunis en mai 2010 autour de Nelson Mandela

Les Elders réunis en mai 2010 autour de Nelson Mandela. De gauche à droite : Graça Machel, Fernando Henrique Cardoso, Desmond Tutu, Jimmy Carter, Mary Robinson, Kofi Annan, Gro Harlem Brundtland, Martti Ahtisaari, Ela Bhatt et Lakhdar Brahimi. Jeff Moore | The Elders

Au mur, une photo montre ces anciens entourant l'ex-président sud-africain, sorte de Buena Vista Social Club de la diplomatie. Ils se retrouvent tous les six mois. Entre deux réunions, ils se déplacent en petits groupes. Début juillet, trois d'entre eux – Tutu, Carter et Robinson – se sont rendus à Londres pour présenter The Elders à 2 000 personnes dans l'auditorium du Barbican.

"On a appris à se connaître", souligne Carter. Robinson taquine Tutu en confiant qu'il peut jouer les chefs. Les autres l'appellent "Arch". Carter parle librement. Des attaques de drones américains au Pakistan ("une violation des droits de l'homme"), du taux d'incarcération multiplié par sept depuis qu'il a été président ("Il faut arrêter de mettre les gens en prison parce qu'ils ont de la drogue sur eux, ça n'affecte que les pauvres et les minorités : les Blancs riches n'y vont pas pour ça"), du Proche-Orient ("Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, les Etats-Unis ne jouent plus aucun rôle dans le processus de paix"), de la décision "stupide" de la Cour suprême d'autoriser les entreprises à financer les campagnes politiques américaines. Et celui qui fut pourtant le premier candidat à la présidentielle à courtiser le vote des chrétiens "born again" déplore aujourd'hui que tant de religions n'accordent pas les mêmes droits aux femmes.

"Ils n'ont pas de carrière à construire, d'élections à gagner, d'électorat à satisfaire. Ils peuvent parler à qui ils veulent et sont libres de suivre les chemins qu'ils jugent bons, même quand ils sont impopulaires", a affirmé Nelson Mandela dans le discours d'inauguration de l'ONG en 2007. "Nous n'avons plus d'ambitions personnelles", confirme Mary Robinson. "On est plus tolérant en vieillissant : quand on est jeune, on découpe le monde entre ceux qui ont tort et ceux qui ont raison, ajoute Desmond Tutu, et on est plus impatient." A présent, ces anciens ont tout leur temps. D'ailleurs, ils démarrent leurs réunions, et même leurs téléconférences, par un moment de silence.

En contact avec les infréquantables

L'idée que les anciens chefs d'Etat doivent avoir un rôle diplomatique est assez récente. C'est paradoxalement Jimmy Carter, dont la présidence n'est pas considérée comme un succès (Lire aussi : "Le paradoxe Jimmy Carter"), qui a créé la fonction de post-président. George Bush père lui avait confié le suivi des élections au Panama en 1989, lançant sa nouvelle carrière. Jusqu'à Carter, les présidents américains, en quittant Washington, s'éclipsaient dans une espèce de retraite invisible. Certains consolidaient leur héritage en créant des bibliothèques présidentielles, en publiant leurs Mémoires ou leur correspondance. "C'est Carter qui a créé cette impression qu'un ancien président sans activité philanthropique a une post-présidence ratée", note Barbara Perry, chercheuse au Miller Center de l'université de Virginie.

Jimmy Carter, Lakhdar Brahimi et Desmond Tutu dans la partie turque de Chypre

Jimmy Carter, Lakhdar Brahimi et Desmond Tutu dans la partie turque de Chypre, en 2009. Jeff Moore | The Elders

La question du devenir professionnel des anciens présidents ne s'est jamais autant posée. Simple histoire d'arithmétique. Quand il a quitté la Maison Blanche, à 56 ans, Jimmy Carter était le plus jeune ex-président depuis Calvin Coolidge cinquante ans plus tôt. Mais depuis, l'Amérique s'est dotée d'autres chefs d'Etat jeunes, qu'il faut bien occuper après leur passage à la Maison Blanche : Bill Clinton avait 54 ans après deux mandats, et si Barack Obama n'est pas réélu en novembre, il deviendra ex-président à 51 ans. La tendance est la même en Europe: Tony Blair s'est fait remplacer à 54 ans. Quant à Nicolas Sarkozy, 57 ans, qu'il se retire ou non de la vie politique, on l'imagine mal ne plus rien faire pendant les trente prochaines années. D'autant que si les post-présidences commencent plus tôt, avec l'augmentation de l'espérance de vie, elles sont aussi de plus en plus longues.

"Carter a créé quelque chose qui manquait à la scène internationale", analyse Jean-David Levitte, l'ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy et de Jacques Chirac. Tel le Carter Center, fondation consacrée à la promotion de la démocratie et des droits de l'homme. Celle-ci envoie des observateurs lors des élections dans des pays où la démocratie est fragile, comme en Egypte en mai et juin à l'occasion de la présidentielle. Elle mène également des projets dans le domaine de la santé. Mais Carter a surtout donné l'idée à la communauté internationale de se servir des anciens présidents comme porte-parole pour des opérations de la dernière chance, quand les Etats ne peuvent pas intervenir eux-mêmes.

Les Elders restent en contact avec les infréquentables. En 2011, la visite en Corée du Nord de Carter, Robinson, Ahtisaari et Gro Harlem Brundtland, ancienne première ministre de Norvège, a fait grincer des dents au département d'Etat américain. Un an plus tôt, des Elders avaient aussi rencontré le leader du Hamas, Ismaïl Hanyé, mis au ban de la communauté internationale. En mai 2012, Jimmy Carter et Lakhdar Brahimi, ancien ministre des affaires étrangères algérien et diplomate onusien, également membre des Elders, sont allés à Khartoum au Soudan (le premier pays que le groupe avait visité en 2007) et, alors que peu de diplomates s'y risquent, ont passé une heure et demie au palais présidentiel avec Omar Al-Bachir, mis en examen par la Cour pénale internationale pour les crimes perpétrés au Darfour. "Il y a des contacts qui, s'ils ont lieu avec des diplomates, peuvent donner l'impression de légitimer des dirigeants contestés. Les Elders ne produisent pas cet effet", note Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch.

Visite à Pyongyang

Les Elders servent d'intermédiaire à la communauté internationale lorsqu'il s'agit de rencontrer des infréquentables. Visite à Pyongyang, en avril 2011, de Martti Ahtisaari, Gro Harlem Brundtland, Mary Robinson et Jimmy Carter. Richard Lewis | The Elders

Les Elders ont réclamé la levée des sanctions au Zimbabwe : Carter pense que les sanctions ne marchent jamais, Tutu, qui a soutenu le boycott de l'Afrique du Sud à l'époque de l'Apartheid, ne le dira pas comme ça. Ce n'est évidemment pas le seul sujet sur lequel les positions des membres divergent. A l'intérieur du groupe, le ton va du pragmatisme, celui de Martti Ahtisaari, qui redoute que des communiqués trop indignés privent les Elders de la possibilité de garder des contacts avec les différentes parties de conflits, à l'idéalisme de Desmond Tutu." Vos origines ne déterminent pas le point d'arrivée, j'en sais quelque chose", lâche-t-il à des jeunes, magnétisés, au pied d'une barre HLM du nord de Londres.

"Une autorité morale plus que politique"

A la fin de la conférence des Elders au Barbican, le journaliste de Channel Four qui les reçoit conclut en espérant "que chacun sorte de la pièce en se disant qu'il peut faire la différence". Paradoxalement, c'est aussi la critique qui leur est adressée. "Ce sont des personnalités attachantes, de gentils anciens qui portent des messages sympathiques. On les écoute dispenser des conseils généreux et généraux. On a l'impression qu'une fois qu'on les a entendus poliment, tout le monde retourne à ses tâches", regrette Jean-David Levitte. "Le fait d'être un groupe disparate rend plus difficile de parler d'une voix forte. Ils ne se sont pas saisis d'un dossier avec énergie."

Les Elders n'auraient probablement rien à redire à cette critique. Ils savent qu'ils prennent le risque de maigres résultats. Et même quand ils en obtiennent (le Soudan a retiré ses troupes de la région d'Abyei, revendiquée par le Soudan du Sud, après leur passage), ils hésitent à se les attribuer, puisqu'ils appuient des négociations en cours. Mais, comme le reconnaît Hubert Védrine, qui fait partie d'un groupe d'anciens ministres des affaires étrangères animé par l'ex-secrétaire d'Etat Madeleine Albright : "Pour les gens qui ont pu mesurer les rapports mondiaux, le sujet reste passionnant et tellement différent à suivre, sorti des bagarres internes et des sondages de la veille, c'est comme une drogue."

Desmond Tutu dans le camp de réfugiés de Yusuf Batil, au Soudan du Sud

Desmond Tutu dans le camp de réfugiés de Yusuf Batil, au Soudan du Sud, en juillet. Les Elders se sont rendus plusieurs fois dans la région pour favoriser le dialogue avec le Soudan voisin. Adriane Ohanesian | The Elders

Les Elders se piquent de mettre l'accent sur des questions qui ne sont pas brûlantes, mais qui leur semblent essentielles. Ils sont ainsi parvenus à fédérer plus de 170 ONG sous la bannière Girls Not Brides ("Filles, pas épouses") pourlutter contre le mariage des enfants. "Ce type de sujet négligé est un bon exemple de ce qu'ils peuvent faire, souligne Kenneth Roth. Ce sont des domaines dans lesquels ils pourraient agir seuls [la plupart des Elders possèdent leur propre fondation] – mais si chacun de ces efforts était entrepris à titre individuel, on se demanderait pourquoi untel vient s'en mêler ; c'est plus facile de se présenter en groupe." En juin au sommet de Rio, avec deux autres Elders, Fernando Henrique Cardoso et Gro Harlem Brundtland, la grand-mère du développement durable, ils se sont indignés du manque d'ambition de l'accord final. "Le fait qu'on se déplace fait la différence", défend Carter. Mais ces "sages" ne se font pas d'illusions sur leur pouvoir. "On a plus une autorité morale que politique", confesse Mary Robinson.

"Ils ne sont pas des magiciens"

Les Elders donnent un coup de pouce aux efforts en cours, mais ne font pas de médiation ad hoc. Kofi Annan s'était mis en disponibilité pour jouer les médiateurs en Syrie. Si cette mission onusienne, dont il vient de démissionner, témoigne des limites du pouvoir des anciens, elle n'a pas entamé le prestige des Elders. C'est en effet un autre membre du groupe, Lakhdar Brahimi, qui a été choisi par l'ONU pour lui succéder. Certes, comme dans le cas de Kofi Annan, c'est évidemment pour sa réputation et non pour son appartenance aux Elders qu'on a fait appel à lui. Aura-t-il davantage de succès que son prédécesseur ? "L'aura d'Annan sur la scène internationale l'a aidé à être accepté par les Russes et les Syriens mais sa médiation n'a rien changé. Ces anciens ne sont pas non plus des magiciens", analyse un responsable d'ONG.

Lakhdar Brahimi

Après Kofi Annan, qui vient de démissionner, c'est à Lakhdar Brahimi que l'ONU a confié sa mission de médiation en Syrie. Tous les deux sont membres de The Elders. Mohamed Nureldin Abdallah

"Ils ont une bonne image, on préfère les avoir avec soi", dit-on au Quai d'Orsay. Mais tous les anciens n'ont pas aussi bonne réputation. La "visite privée" en Irlande Michel Rocard au lendemain de l'élection de François Hollande a plus qu'embarrassé le nouveau président, qui s'est empressé de démentir toute "mission". "Il y a ceux qui s'incrustent", entend-on encore à propos des retraités de la politique qui cherchent des missions diplomatiques "comme d'autres collectent des jetons de présence dans les conseils d'administration". Pas forcément de façon désintéressée, car un carnet d'adresses ne s'use que si on ne s'en sert pas. Champion du monde des tarifs, l'ancien premier ministre anglais Tony Blair, retraité très jeune du pouvoir, est cité comme exemple de mélange des genres. "Qu'il soit représentant au Quartet [le groupe de négociation sur le Proche-Orient rassemblant les Etats-Unis, la Russie, l'ONU et l'Union européenne] était une fumisterie, il n'était jamais à Jérusalem", déplore un cadre du Quai.

Tous les papis ne font pas que de la diplomatie. Henry Kissinger a tiré avantage toute sa vie de son passé de secrétaire d'Etat. Ronald Reagan, en allant au Japon prononcer un discours payé 2 millions de dollars à la sortie de sa présidence, fut le premier à attirer l'attention sur les chèques que peuvent toucher les "ex". L'ex-chancelier allemand Gerhard Schröder s'est déconsidéré en travaillant pour le russe Gazprom. Bill Clinton est un exemple plus complexe de l'art de jongler avec les casquettes, prenant part aux côtés des démocrates aux batailles électorales et se situant au-dessus des partis lorsqu'il organise des collectes pour les victimes du tsunami en 2005 puis du séisme en Haïti en 2010, avec Bush père puis Bush fils. Si sa fondation représente une véritable force de frappe (d'autant que Clinton choisit bien ses dossiers), l'ancien président est aussi le champion des discours payés – même Monoprix a fait appel à lui ! – et des gros contrats d'éditeurs.

Chez les Elders, Blair et les machines à fric ne semblent pas les bienvenus. Mais la réalité est plus nuancée. "Cela m'arrive aussi de faire des discours, concède Carter, je donne de l'argent à ma fondation ou à celle de ma femme [sur la santé mentale]." Lors de la visite à l'association de réinsertion professionnelle, un jeune explique à Carter qu'il est peintre. "Moi aussi je peins à mes heures, blague le vieux monsieur, ça peut même se vendre. Non parce que c'est réussi, mais parce que je suis ancien président." Comme s'il résumait le dilemme de l'ancien puissant qui peut apposer son nom sur ce qu'il veut pour lui donner de la valeur. Et doit donc réfléchir à ce qu'il en fait.

A ces jeunes auxquels il rend visite, Jimmy Carter réserve un dernier conseil :"Faites comme moi, n'hésitez pas à avoir plusieurs carrières." Pour justifier ses nouvelles fonctions, il aurait pu aussi leur lancer cette phrase de Nixon, prononcée des années après sa démission. "Quiconque fut président et eut donc la capacité et le pouvoir d'affecter le cours des événements ne peut se satisfaire de ne plus être là."

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