Chers amis,
Je viens de retrouver mes collègues des Elders à Londres pour notre réunion du conseil d’administration. Notre mission reste la même : dire la vérité aux puissants, les interpeller avec franchise et encourager des solutions concrètes face aux crises actuelles.
C'est dans cet esprit que nous avons appelé à la libération de Marwan Barghouti, le dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis plus de vingt ans. Beaucoup de Palestiniens considèrent Barghouti comme « leur Mandela ».
Nous nous sommes également penché sur le conflit qui ravage la République démocratique du Congo, où les minerais rares, essentiels aux industries mondiales, sont au cœur d’une violence qui continue de dévaster le pays. Depuis 2023, les violences sexuelles ont considérablement augmenté : le viol est utilisé de manière systématique comme arme de guerre pour soumettre la population, en particulier les femmes et les jeunes filles. Les services d’aide, qui traitent habituellement environ 10 000 cas par an, ont signalé plus de 22 000 cas de violences sexuelles dans la seule province du Nord-Kivu cette année-là.
Dans mon hôpital de Bukavu, nous soignons les femmes et les enfants qui portent les stigmates physiques et émotionnels de cette violence. Mais la situation en RDC n’est pas isolée. Les femmes du monde entier subissent les mêmes atrocités — du Soudan à l’Afghanistan, en passant par Haïti et le Myanmar. Non seulement ces actes barbares restent souvent impunis, mais ils sont aussi largement passés sous silence.
Les femmes sont souvent celles qui supportent le plus lourd fardeau dans les situations de conflit. Elles ne sont pas seulement des survivantes, elles sont aussi de puissants agents du changement. Leur leadership, leur expertise et leur vécu ont montré qu’elles contribuaient à rendre les accords de paix plus inclusifs et plus durables, en intégrant dans ces processus la notion de justice, les droits humains et les besoins réels des communautés.
Cependant, ces contributions sont trop souvent ignorées. Comme le montre le dernier rapport du Secrétaire général des Nations unies sur les Femmes, la paix et la sécurité, la grande majorité des processus de paix excluent encore la participation des femmes.
Cette lacune est particulièrement frappante alors que nous célébrons cette année les 30 ans de la Déclaration de Pékin et les 25 ans de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU. La première a établi l’égalité des genres comme priorité mondiale, et la seconde l’a inscrite au cœur de la paix et de la sécurité internationales.
Pour réellement honorer ces engagements, la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits doit être au centre de nos efforts. Les survivantes ont besoin non seulement de soins médicaux et psychologiques, mais aussi de justice, de réparations et de la garantie que ces violences ne se reproduiront pas. Cela implique de traduire les auteurs en justice, de mettre fin à l’impunité et de veiller à ce que les engagements internationaux se traduisent en actions concrètes.
Alors que nous marquons ce mois-ci, le 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ne laissons pas cette date devenir un symbole de plus. Elle doit être un appel à l’action : pour combattre la violence fondée sur le genre où qu’elle se produise, et pour garantir la participation pleine, égale et sûre des femmes à la construction de la paix.
La participation des femmes à la médiation des conflits et à la consolidation de la paix doit être considérée non seulement comme possible, mais comme indispensable.
Sans les femmes, il ne peut y avoir de paix durable.
Avec mes remerciements pour le soutien que vous nous apportez,
Denis Mukwege
